Un travail de contamination positive du mouvement syndical
Marie-Agnes Gilot travaille à la Centrale nationale des employés (CNE) pour les secteurs non-marchands. Elle est notamment active dans le réseau européen de lutte contre le commercialisation de la santé. Nous l’avons interrogée sur la position des syndicats dans la campagne Pas de Profit sur la Pandémie.
Pourquoi les syndicats belges soutiennent-ils l’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie ?
« Nous sommes clairement pour une santé accessible à tou·te·s. Une santé dans son sens global, qui prend en compte tous les déterminants de la santé. C’est le sens du travail du Réseau européen de lutte contre la commercialisation de la santé, et de la CNE à l’intérieur de ce réseau.
En tant qu’acteurs et actrices des secteurs de santé, nous essayons de faire avancer les choses pour que toute la population mondiale ait accès au vaccin pour venir à bout de la pandémie. La lutte pour la levée des brevets s’inscrit pleinement dans cette démarche.
L’idée est de combattre les politiques néolibérales avec lesquelles « qui a du fric peut avoir accès à tout et tant pis pour les autres ». C’est clairement un combat syndical qui rentre dans notre projet pour une société plus inclusive, plus égalitaire, plus participative à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Bien que je parle pour la CNE, je pense que les autres syndicats belges rejoignent globalement ces idées. »
Comment les syndicats font-ils avancer cette campagne ? Quel rôle y jouent les militant·e·s syndicaux·les ?
« Chaque année, le 7 avril, à l’occasion de la journée mondiale de la santé, le réseau européen mène une action de lutte contre la commercialisation de la santé. Cette année, il nous semblait logique de soutenir l’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie.
Au niveau syndical, nous avons essayé de promouvoir la campagne dans les institutions de soin. Le rôle essentiel des militant·e·s est d’informer les travailleurs·euses, affilié·e·s ou non, mais aussi les usager·e·s. L’objectif est de diffuser l’information le plus largement possible, notamment via notre brochure sectorielle.
Nous avions demandé au personnel d’installer des stands pour informer les visiteurs, les visiteuses et les patient·e·s et les inviter à signer l’initiative citoyenne européenne. Malheureusement, ça s’est avéré trop compliqué au vu des normes sanitaires dans les structures de soin. Ils et elles ont néanmoins fait la publicité de la campagne. Nous la relayons aussi dans les instances, nationales et internationales, auxquelles nous participons.
On essaie de faire de la contamination, positive celle-là ! »
Cette bataille pour des médicaments abordables dure-t-elle depuis plus longtemps que cette pandémie ?
« Oui, bien sûr. Depuis la naissance du réseau en 2012, c’est une préoccupation importante. Nous avons 6 axes de travail. L’un d’eux porte sur la question des médicaments et du Big Pharma. On peut le voir dans le manifeste du réseau, rédigé en 2014, dans lequel nous dénoncions la commercialisation et où nous expliquions ses mécanismes.
En 2018, nous avions déjà mis l’accessibilité des médicaments au centre de notre principale action annuelle. Dans le cadre des campagnes Tam-Tam, des gens ont investis les locaux de Pharma.be pour interpeller par rapport au fameux « article 81 » ; ce texte un peu ténébreux qui protège le Big Pharma. Nous avons également mené une action devant le Parlement.
En 2019, à l’approche des élections européennes, nous avons fait une conférence au Parlement. Nous avons invité des parlementaires à signer une déclaration de principe afin qu’elles et ils s’engagent à dénoncer et à combattre la commercialisation de la santé au niveau européen.
Et en 2021, nous avons mené la campagne Pas de Profit sur la Pandémie avec la plateforme Right2Cure.
Donc c’est effectivement quelque chose que nous essayons de dénoncer et de combattre depuis plusieurs années. »
S’agit-il d’une lutte commune avec des syndicats de toute l’Europe ?
« La CNE est membre d’EPSU, la Fédération syndicale européenne des services publics. Là aussi, nous menons un travail de conscientisation. Nous essayons de mettre systématiquement la privatisation de la santé à l’agenda de l’action syndicale pour faire bouger les choses collectivement.
Le focus syndical pense d’abord au milieu du travail, aux travailleuses et aux travailleurs. Mais au niveau européen, on se situe à un niveau politique plus large où tant les travailleurs et les travailleuses que l’ensemble des citoyen·ne·s peuvent avoir un impact ! On sait que l’Europe a tendance à se cacher derrière son peu de compétence en matière de santé. Mais c’est en train de changer. Avec la pandémie, les discours sont un peu plus ouverts et il semble que la question des compétences en matière de santé pour l’Europe pourrait être élargie. Nous suivrons cela de près.
Nous devons donc travailler des deux côtés à la fois : sur la santé des travailleurs et travailleuses et sur la commercialisation des institutions, mais aussi sur la politique de santé au niveau européen. Et ça c’est tout le sens du travail que nous menons au niveau du Réseau. Nous devons travailler avec les parlementaires en mettant le pied dans la porte pour que toutes les politiques européennes incluent, dans leurs discussions, les aspects de la santé. On ne peut pas considérer que la santé, c’est quelque chose qui est à part.
Depuis que nous avons démarré, entre 2013-2014 et maintenant, nous sentons que nous arrivons à avoir un impact. Même au niveau de la campagne sur les vaccins, les lignes politiques bougent. Ce qui nous semble important, c’est que syndicats et associations travaillent ensemble parce que chacun dans son coin, on n’y arrivera pas. Il faut conjuguer les forces ! »
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