Ubai Aboudi: “La solidarité avec tous les peuples qui résistent à l’oppression porte ses fruits et est cruciale”
Le 14 novembre 2019, nous apprenions que notre ami et collègue Ubai Aboudi, directeur du Bisan center for Research and Development, avait été arrêté chez lui, au milieu de la nuit. Devant sa femme et ses 3 petits garçons. Après 11 mois passé dans les geôles israéliennes, Ubai est à nouveau libre. Lisez l’interview exclusive d’Ubai sur son expérience en prison et nourrissez-vous de sa force extraordinaire.
Cela fait tellement plaisir de te voir Ubai. Comment vas-tu ? Comment vont Hind et les enfants ?
Mieux que jamais. Je suis plein d’énergie, peut être même plus qu’avant la prison [Rire]. Je suis heureux d’avoir retrouvé Hind et les enfants, ils m’ont terriblement manqué. Cela a été très dur pour eux. Hind a pris le rôle de père et mère de notre foyer. Elle a fait un travail incroyable. Les enfants ont tellement grandi. Et cette expérience a laissé des traces. Ils ne me quittent plus d’une semelle depuis 2 semaines.
Qu’as-tu fait depuis ta libération ?
J’ai d’abord profité de ma famille, reçu beaucoup de visite et d’appels. Ensuite, je suis rapidement revenu à Bisan pour travailler. J’avais besoin de me mettre au courant et continuer à soutenir l’important travail du centre auprès des communautés les plus touchées par les conséquences de l’occupation israélienne.
Est-ce que ton arrestation a eu un impact sur le travail de Bisan ?
Oui. Lorsque j’ai été arrêté, nous étions en discussion avec plusieurs organisations internationales ou bailleurs de fonds pour mettre sur pied des programmes de développement. Certains ont eu peur et ont reculé, préférant ne pas être lié avec Bisan dans ces circonstances. L’occupation a dit tellement de choses horribles et fausses sur moi dans les journaux. Ils m’ont accusé de choses inimaginables et je n’avais aucun contrôle la-dessus. Nous avons perdu beaucoup de potentielles ressources financières à cause de cette propagande mensongère. Le website de Bisan a aussi été hacké et il a fallu plusieurs mois pour le mettre à jour.
Avec mon arrestation et celle de mon autre collègue Salam l’année précédente, Bisan a aussi fait face à un sérieux déficit de ressources humaines. Hanan a repris la direction en intérim. Elle a été formidable et j’ai l’impression de ne plus être utile à présent [Rire]. Je suis entouré de femmes incroyables.
Heureusement, d’autres partenaires se sont révélés être des soutiens précieux face aux attaques israélienne à mon encontre et celle de Bisan. C’est le cas de Viva Salud qui a multiplié les gestes de solidarité et a apporté un soutien sans faille à Bisan et ma famille. Cela m’a beaucoup touché.
Mon arrestation fait partie d’une stratégie d’harcèlement systématique des voix progressistes de gauche au sein du mouvement social palestinien. L’occupation cible des individus, des organisations sociales et tente de les discréditer et de ternir leur réputation auprès des réseaux internationaux. Israël ne veut pas que nous exposions les abus et violations des droits humains dont ils sont les instigateurs. Bisan a souvent été la cible d’harcèlement par le passé, que ce soit par l’occupation, l’autorité palestinienne ou les grandes entreprises. Mais cela ne nous empêche pas de faire notre travail : mettre à jour les violations des droits humains et des droits socio-économiques du peuple palestinien.
Peux-tu un peu expliquer pourquoi tu as été arrêté ?
J’ai été arrêté le 13 novembre dans la nuit. Il était 3 heures du matin lorsque des soldats israéliens ont cogné à notre porte. Mes enfants étaient terrorisés. Les soldats m’ont annoncé que j’étais en état d’arrestation sans me dire pourquoi et m’ont directement traîné vers une jeep militaire dans la rue. J’ai à peine eu le temps de dire au revoir à ma famille. Je suis resté des heures en pyjama, dans des pièces froides, sans manger et sans savoir où j’étais ni ce qui allait advenir de moi. Quelques jours plus tard, j’ai reçu la sentence : 3 mois de détention administrative.
Peux-tu expliquer ce qu’est la détention administrative ?
C’est une technique héritée du mandat britannique. Israël l’utilise de manière illégale et abusive à travers des arrestations massives de Palestinien.ne.s sur base d’aucune charge connue et renouvelable à l’infini. Certains prisonniers ont passé plus de 5 ans en détention administrative. Pire, certains ont fait plus de 20 années non-consécutives sans jamais savoir pourquoi.
Cette technique est utilisée comme moyen d’oppresser le peuple palestinien et c’est aussi de la torture psychologique. On ne sait jamais quand nous serons arrêtés ni pour combien de temps. Ils veulent briser la résistance à leur système d’apartheid et de colonisation.
Tu n’as pas toujours été en détention administrative durant ton incarcération, il y a eu un procès en mai 2020.
C’est exact. Une vraie mascarade. Je pense que la shabak – les services de sécurité intérieure israéliens – a été obligé de trouver un autre moyen de me retenir en prison. En effet, il y avait beaucoup de pressions internationales et j’ai aussi la double nationalité américaine. Ils ont donc émis des charges à mon encontre et m’ont transféré devant une cour militaire.
Dans une cour militaire israélienne, il faut prouver qu’on n’est pas coupable. 97 % des procès de Palestinien.ne.s devant les cours militaires se termine par un verdict de culpabilité.
Les accusations étaient de purs mensonges et basées sur aucune preuve valable. Mon avocat n’a d’ailleurs jamais eu accès à ces preuves pour préparer la défense. Durant le procès, nous avons appris que les seules accusations à mon encontre étaient basées sur des séances de torture sur d’autres prisonniers palestiniens ce qui n’est pas solide en plus d’être intolérable. En Belgique, je pense qu’ un accusé est présumé innocent jusqu’à ce qu’on prouve qu’il est coupable. Dans une cour militaire israélienne, il faut prouver qu’on n’est pas coupable. Cela n’a rien d’une cour de justice et tout à avoir avec l’illégalité.
Lorsque j’étais en prison, j’ai lu les biographies de Nelson Madela, Malcom X mais aussi de Huey Newton, co-fondateur du mouvement des Black Panthers aux Etats-unis. J’ai ressenti une puissante connexion car comme pour la communauté noire des États-Unis, les Palestinien.ne.s sont jugé.e.s coupables avant même de passer en jugement. On sait qu’on sera jugé coupable. 97 % des procès de Palestinien.ne.s devant les cours militaires se termine par un verdict de culpabilité.
Peux-tu m’en dire plus sur tes mois d’incarcération ?
La prison c’est à la fois beaucoup de camaraderie et de solidarité mais aussi un immense sentiment d’oppression de la part d’un système qui essaie de vous déshumaniser. De l’oppression car le système d’incarcération fait tout pour vous briser : déni de visites, mauvaise nourriture en quantité insuffisante, gaz au poivre, coups physiques, humiliations, confiscation d’effets personnels comme des photos, refus d’accès à l’éducation, aux appels téléphoniques à la famille.
Un des principaux sentiments que j’ai ressenti en tant que prisonnier c’est la privation des contacts humains, surtout avec ma famille. Je n’ai pas eu le droit de ne serait-ce qu’effleurer la main de ma femme Hind car les visites se font derrière une vitre. Seuls mes enfants pouvaient me prendre dans leurs bras mais seulement 10 minutes et tous les 60 jours uniquement. Avec le coronavirus, certaines visites ont même été annulées, sans parler des sanctions liées à notre mouvement de résistance pour demander plus de protection face au COVID19.
Hoe Comment vous organisiez-vous entre vous pour y faire face? jullie het aangepakt om hiermee om te kunnen gaan?
La solidarité entre les prisonniers est le socle de la vie dans les prisons israéliennes. Se soutenir, discuter, faire du sport, échanger sur des lectures. Nous avons aussi décidé d’utiliser l’éducation comme un moyen de résistance. L’éducation est interdite par les autorités pénitentiaires pourtant, nous arrivons toujours à avoir accès à un livre ou deux. Nous faisions des cours d’économie ou de physique avec d’autres prisonniers, nous discutions de l’Histoire de la Palestine. J’ai lu le livre « Le nettoyage ethnique de la Palestine » de Ilan Pappé en prison et nous avons discuté de la notion de nettoyage ethnique en Palestine. Pas seulement le nettoyage ‘physique’ mais aussi le nettoyage culturel et identitaire du peuple palestinien ainsi que la négation du narratif palestinien en faveur de celui présenté par Israël.
En mars, le Covid-19 est arrivé en prison, comment y avez-vous fait face ?
Nous avions peur. Personnellement, je souffre d’allergie et j’attrape facilement des rhumes ou la grippe. Nous vivions à 8 prisonniers dans des cellules de 3 mètres du 12. Dans des sections de 70 à 80 prisonniers. Ces conditions de vie sont propices à la contagion d’un tel virus et rien n’était fait pour nous protéger. Nous avons très vite appris qu’un premier cas positif avait été recensé chez un prisonnier récemment libéré. Des gardes aussi s’absentaient de longues périodes et nous suspections que c’était pour cause de Covid-19.
Nous avons décidé d’entrer en grève de la faim collective pour avoir accès à des tests, avoir des masques et surtout avoir le respect de la distanciation physique entre les gardes et les prisonniers. Aussi pour faire parler de la situation des prisonniers palestiniens. En avril 2020, de nombreux pays ont libéré des prisonniers en avance. Ce fut aussi le cas de prisonniers de droit commun israélien. Aucun prisonnier politique palestinien n’a été libéré.
Penses-tu que la solidarité internationale peut jouer un rôle important pour la cause des prisonniers palestiniens ?
Oui bien sûr ! La solidarité aide à partager les histoires et rendre visibles les abus et violations des droits humains à l’encontre des prisonniers palestiniens. Je pense que sans le soutien international, je n’aurais pas échappé à la torture… comme beaucoup d’autres amis en ont été victimes. La solidarité internationale nous permet aussi de tenir. Savoir que des pétitions circulaient, que des personnes en Belgique, en France ou aux USA faisaient des appels publics pour me libérer, faisaient pression sur leurs gouvernements, cela signifie énormément pour moi. Merci. Merci de tout mon cœur.
Au-delà de la cause de nos prisonniers, je crois fermement que la solidarité avec tous les peuples qui résistent à l’oppression dans le monde entier porte ses fruits et est cruciale.
Qu’est-ce que tu retires de ces 11 mois d’emprisonnement ?
Je suis plus que jamais convaincu de l’importance de créer des connections internationales et de lutter ensemble contre les systèmes d’oppression économiques, politiques, culturels et sociaux.
En tant que peuple, nous sommes la majorité. Nous sommes les 99 %. En Iran, en Iraq, en Inde, aux Philippines, en Colombie. Ce système d’oppression ne bénéficie qu’au petit 1 % restant. Cela ne peut pas durer et ensemble, les 99 % peuvent renverser la tendance, peuvent amener des valeurs de solidarité, de partage, d’égalité, de démocratie et de justice. Nous devons rester vigilent.e.s et toujours garder cet objectif à long-terme en tête.
All the power to the people, people have the power
Lisez également l’analyse qu’Ubai a écrit en prison sur Covid-19 et le droit à la santé.