Si seulement COVAX avait choisi de briser le monopole de Big Pharma
Partout dans le monde, les gouvernements ont promu COVAX comme la solution magique à la pandémie. Mais alors que les grandes sociétés pharmaceutiques gagnent des milliards, le dispositif a du mal à réaliser ses modestes ambitions. Nous avons interrogé l’expert Prasanna Saligram du People’s Health Movement (PHM) pour en savoir plus sur le rôle et les défis de COVAX.
Qu’est-ce que COVAX ? Pourquoi a-t-il été mis en place ?
« Historiquement, chaque fois qu’il y a eu une épidémie, il y a eu des inégalités d’accès aux médicaments et aux vaccins essentiels. Par exemple, avec le virus H1N1 en 2009, un vaccin a été développé mais les pays à revenu élevé (PRE) ont acquis tous les vaccins. Pour la COVID-19 donc, nous avions besoin d’un mécanisme mondial pour distribuer les vaccins aux pays à revenu faible et intermédiaire. Le principal mécanisme permettant d’y parvenir est l’accélérateur d’accès aux outils COVID-19 (ACT-A ou Accélérateur ACT). Il comporte quatre branches : une pour les vaccins, une autre pour le diagnostic, une troisième pour la thérapeutique et la dernière pour les systèmes de santé. La branche vaccin s’appelle COVAX et vise à accélérer l’accès aux vaccins COVID-19. »
Qui le dirige ?
« Si vous lisez les médias, vous pourrez comprendre que COVAX est une initiative menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En réalité, elle n’est pas dirigée par l’OMS. Il s’agit d’un partenariat public-privé mené par deux organisations : Gavi (l’Alliance du Vaccin) et CEPI (Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies). Les deux sont des initiatives multipartites public-privé financées et soutenues par la Fondation Bill & Melinda Gates. L’OMS et l’UNICEF sont également associées à COVAX en tant qu’organisations multilatérales, mais elles n’ont pas de pouvoir décisionnel. Bien qu’exclus des mécanismes de gouvernance centrale, l’OMS et l’UNICEF détachent du personnel et donnent une légitimité à COVAX. Les véritables décisionnaires restent le CEPI et Gavi, ainsi que l’industrie pharmaceutique internationale, qui siège également dans l’organe de gouvernance. »
Que vise-t-il ?
« COVAX est présentée comme une plateforme mondiale de solidarité, mais le problème est qu’elle a été proposée immédiatement après une autre initiative qui était beaucoup plus une plateforme internationale, C-TAP (COVID-19 Technology Access Pool ou groupement d’accès aux Technologies contre la COVID-19). C-TAP est une initiative de l’OMS pour organiser le partage des connaissances et technologies. Or, comme la plupart des grandes sociétés pharmaceutiques souhaitent conserver leurs profits, elles n’ont pas voulu partager leurs connaissances et leurs brevets. C’est là qu’intervient COVAX. Son approche reste basée sur une logique de marché. Il intervient en tant qu’acheteur de gros volumes pour négocier de meilleurs prix pour les pays à revenu élevé (PRE) et pour fournir des vaccins gratuits aux pays à faible revenu pour leur population prioritaire. Selon l’OMS, les groupes prioritaires comme le personnel de santé, les groupes vulnérables et les personnes âgées représentent environ 20 % de la population. COVAX a donc promis de livrer suffisamment de vaccins pour 20 % de la population. Mais, comme nous le savons, pour atteindre une immunité collective suffisante pour arrêter la propagation de la maladie, 70 à 80 % de la population doit être vaccinée. Comment comblerons-nous l’écart entre 20 % et 80 % ? »
COVAX atteindra-t-il ses objectifs ?
« On voit que COVAX est vraiment en difficulté. Des pays comme le Venezuela se plaignent d’avoir donné de l’argent à COVAX sans recevoir aucun vaccin. Il y a donc des questions sur l’efficacité. COVAX devait fournir 2 milliards de doses fin 2021. Nous sommes en juillet 2021 et il a à peine distribué 83 millions de doses. COVAX prétend avoir livré dans de nombreux pays à travers le monde. En réalité, une grande partie est allée aux PRE qui font également partie du programme COVAX mais qui n’ont pas besoin de vaccins supplémentaires. On voit donc que les PRE sont mieux servis que les pays plus pauvres, auxquels on a fait croire que COVAX allait s’occuper d’eux. Au lieu de cela, ils sont tous laissés dans l’attente. »
Quels sont les plus grands défis pour COVAX ?
« Le plus gros problème est que cela dépend de la charité au lieu d’adopter une approche solidaire. Si COVAX avait choisi de rompre le monopole de Big Pharma, il aurait été beaucoup plus efficace. Il y aurait eu beaucoup plus de fabricants et peut-être n’aurions-nous pas à expédier les vaccins d’un continent à l’autre. Moderna a obtenu environ 8 milliards d’argent des contribuables américains pour développer et produire son vaccin. Mais Moderna est aussi le vaccin le plus cher, à environ 31 dollars la dose. Et COVAX paie aveuglément ce prix. Ce qui signifie que COVAX n’a pas obtenu de meilleurs prix. COVAX n’a jamais annoncé qu’il voulait limiter la soif de profits des Big Pharma ou encourager les entreprises à partager leurs technologies. Il n’a effectivement rien fait de tel. Il se contente de suivre la logique de marché sans toucher au modèle des brevets. Cela ne peut que conduire qu’à de mauvais résultats, comme nous l’avons vu avec le nationalisme vaccinal et l’apartheid vaccinal mondial. »
COVAX est-il la solution magique à la pandémie, telle qu’elle est décrite ?
« Quand mouvements sociaux et activistes ont fait pression sur leurs ministres du commerce et de la santé pour mettre les vaccins aux mains du public, on leur a répondu que COVAX faciliterait l’accès mondial aux vaccins. Les gouvernements croyaient que les dons pour COVAX afflueraient rapidement et que les sociétés pharmaceutiques feraient la queue pour livrer leurs vaccins à COVAX. Rien de tout cela n’est arrivé. Les dons n’ont pas atteint le niveau escompté. De plus, des entreprises comme Pfizer et Moderna sont trop occupées à approvisionner les PRE pour alimenter COVAX. Même Astra Zeneca ne livre pas comme promis. En cette ère de nationalisme vaccinal et de chasse au profit, COVAX n’a pas l’ombre d’une chance d’honorer ses engagements. Avec la charité, on ne va pas loin. Nous avons besoin d’une approche basée sur la solidarité mondiale et les droits humains. »
Que propose le People’s Health Movement ?
« La proposition de PHM repose tient en trois points. D’abord, la dérogation ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) doit être adoptée immédiatement. Les barrières liées à la propriété intellectuelle doivent être supprimées afin que nous puissions rapidement intensifier la production. Ensuite, nous devons renforcer C-TAP. Il a été conçu sur une base volontaire mais devrait être renforcé pour faciliter un véritable partage de technologie. Enfin, nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous n’investissons plus dans la recherche et le développement publics ? Si vous regardez le cycle de développement de toute technologie, vaccin ou médicament, vous voyez que la base est toujours développée dans les universités publiques. Ce n’est qu’à un stade ultérieur, lors des essais cliniques par exemple, que l’on constate une plus grande implication du secteur privé. Donc, si autant d’argent public est dépensé et si l’innovation est issue du secteur public, pourquoi ne pas promouvoir davantage la recherche et le développement publics ? Bien entendu, avec PHM, nous cherchons également à renforcer les capacités de fabrication locale. Si ce n’est pas pour cette pandémie, du moins pour la prochaine. »
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