Billy Mwangaza (RDC) :« Ça ne sert à rien de vacciner seulement l’Europe »
Si la campagne de vaccination tourne à plein régime en Europe, elle peine encore à se mettre en place dans de nombreux pays, faute de vaccins disponibles. Billy Mwangaza, de notre organisation partenaire Étoile du Sud, nous explique les défis de la campagne de vaccination en RDC.
Quelle est la situation actuelle (19/8/21) en RDC par rapport à la pandémie?
« La RDC est en train de traverser une troisième vague de Covid-19 qui a principalement touché les grandes villes. Le cumul de cas depuis le 10/3/20 est de 53.620 cas confirmés. 1.050 personnes étaient décédées en date du 17 août. Voilà pour les chiffres officiels. Mais il y a d’autres données qui ne sont pas très disponibles, par exemple le nombre de personnes actuellement hospitalisées. Mais avec quelques recherches, on se rend compte que certains hôpitaux sont pleins à craquer. »
Où en est la campagne de vaccination en RDC?
« Cette question de la vaccination reste compliquée en RDC. Le vaccin a été disponible le 19 avril. Il a d’abord été proposé aux personnes de plus de 55 ans et au personnel médical de première ligne. Mais la vaccination a été suspendue le 10 juillet. Sur une population de plus de 90 millions d’habitants, il n’y a que 81.910 personnes qui ont été vaccinées. Dont moins de 5000 personnes qui ont reçu leur seconde dose. Ce qui fait un taux de vaccination de moins de 0,1% ! »
Pourquoi cette suspension de la campagne de vaccination?
« Nous n’avons pas de vaccin disponible. Sur le premier lot de vaccins reçu via COVAX, seule une partie a pu être utilisée. En cause principalement, des difficultés logistiques et une grande réticence au sein de la population. Certaines doses ont périmé avant de pouvoir être administrées. »
Comment s’explique cette réticence de la population congolaise?
« La RDC a déjà subi beaucoup d’épidémies. La manière dont elles ont été gérées ne permet pas à la population de donner confiance facilement à l’État. En plus de cela, la stratégie de communication du gouvernement n’a pas été efficace. Il reste difficile de trouver de l’information transparente et claire sur le vaccin. Dans un contexte où de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer le vaccin, cela ne pardonne pas. Certain·e·s continuent de croire que c’est une maladie de riches, dont seul·e·s les riches peuvent mourir.
Ensuite, nous avons reçu des vaccins AstraZeneca, à un moment où sa fiabilité était questionnée par de nombreux pays, notamment en Europe, d’où provenaient ces vaccins. Cela a suscité beaucoup de questions. Les gens qui ont reçu leur première dose vont-ils recevoir leur seconde dose? Cette première dose sera-t-elle effective? Une personne qui a reçu une première dose d’AstraZeneca recevra-t-elle la seconde dose d’un autre vaccin? Le premier citoyen de la république lui-même, a déclaré lors d’une interview qu’il n’avait pas confiance dans le vaccin AstraZeneca et qu’il attendait un autre vaccin pour se faire vacciner.
Enfin, on a administré à certaines personnes des vaccins périmés. Certain·e·s peuvent penser que l’administration de vaccins périmés ne fait que favoriser la propagation du virus.
Donc tout cela contribue à alimenter une méfiance parmi la population congolaise. »
Quel rôle joue la société civile dans la lutte contre le coronavirus?
« Nous voulons que le gouvernement prenne les choses en main et mette en place une véritable stratégie face à la pandémie. Qu’il prenne en charge cette question de la vaccination. Ce n’est pas une question extérieure. Parce que ce qui vient de l’extérieur a toujours sali l’image du pays et désorienté les actions du gouvernement. Et qu’il coordonne sa communication avec les leaders sociaux et locaux.
Dans la mesure où il n’y a pas de vaccin disponible, la sensibilisation s’oriente notamment vers le respect des gestes barrière et la prévention. Mais si une quatrième vague arrive, l’Afrique sera encore très touchée parce qu’elle n’a pas eu accès au vaccin. Nous souhaitons donc aussi préparer l’arrivée de nouvelles doses de vaccin. Pour arriver à construire une immunité collective. Nous nous appuyons sur des exemples d’autres épidémies passées, de maladies qui ont toujours fait l’objet de vaccin ici, par exemple la rougeole. Il y a beaucoup de maladies qui ont disparu comme ça.
La désinformation aggrave les conséquences de la pandémie. »
Comment adapter nos systèmes de santé pour prévenir de prochaines épidémies ou au moins pour en atténuer les effets?
« Nous devons renforcer et financer nos systèmes de santé pour être prêts à le distribuer quand le vaccin sera à nouveau disponible pour la population congolaise. Il faut impliquer davantage la communauté locale, les personnes qui travaillent à la périphérie des systèmes des santé, dans l’information et la sensibilisation notamment.
Nous devons éviter de répéter nos erreurs. Par exemple, avec l’épidémie à virus Ebola, un système parallèle avait été mis en place à côté du système de santé, dans des lieux spécifiques, avec du personnel spécifiquement engagé pour cela. Cela paraissait quelque chose de très spécial. Cela générait de la peur. Avec la pression des mouvements sociaux, l’approche a été redéfinie et tout a été réintégré au système de santé normal: dans des maisons de santé, des aires des santé… Utiliser le relais communautaire, impliquer les communautés dans les stratégies met l’Humain au centre des actions du système de santé. Cela rapproche et rassure la population. Nous aurons ainsi des systèmes des santé plus forts, en mesure de trouver une riposte directe face à de prochaines épidémies. »
Que pensez-vous des brevets sur les vaccins ?
« Nous savons que Big Pharma, grâce à leurs brevets sur les vaccins, gagnent beaucoup d’argent. Cela augmente la méfiance. Nous nous sentons comme des débouchés pour leurs produits. La levée des brevets pourrait améliorer l’opinion publique face aux vaccins et faire avancer l’idée que nous avons affaire à un problème global, dont nous devons nous occuper tous ensemble. Parce que ça ne sert à rien de vacciner l’Europe seulement. C’est une pandémie. Donc il faut que tout le monde aie accès aux moyens de la combattre. »
Signez l’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie et demandez à la Commission Européenne de lever les brevets sur les vaccins contre le coronavirus.
Cette interview date du 19 août. Retrouvez ici les chiffres actualisés.