Proyecto Akokán: un travail social dans un quartier particulier de la Havane
Julie Steendam, ancienne chargée de campagne chez Viva Salud et bénévole chez Cubanismo.be, a séjourné pendant 6 mois à Cuba. Elle y a fait connaissance avec le Proyecto Akokán, un projet social, culturel et écologique du Centro Felix Varela, que nous avons soutenu cette année grâce à notre campagne de Pâques. Dans une interview captivante, Michael, le coordinateur lui a raconté ce projet.
Le virus qu’on ne doit plus nommer et le confinement a suivi ont aggravé la précarité pour une grande partie de la population cubaine. Les participant.e.s du Proyecto Akokán se sont attaqué.e.s courageusement à la crise du covid avec une dose communicative de ‘Sí se puede’.
Le Proyecto Akokán vise le quartier de Los Pocitos dans la commune de Marianao, à l’ouest de la Havane. L’initiative s’appelle Akokán, ce qui veut dire “avec le cœur” dans la langue Yoruba, une langue Afro-Cubaine, qui est encore couramment parlée. Leur devise est “Cuando actuas de Akokán todo es Oddara”: si tu agis avec le cœur, tout ira bien. La positivité de ce slogan colle parfaitement à l’ambiance que le coordinateur Michael a su créer autour de son projet.
Los Pocitos est la version cubaine des villes périphériques pauvres d’Amérique latine, qui n’arrivent pas à intégrer l’afflux de population rurale dans leurs infrastructures. Les problèmes les plus frappants sont l’absence d’un système de collecte de déchets et l’inexistence de réseau convenable d’égouts. Certaines maisons ne sont pas connectées aux conduites d’eau, donc la population doit aller chercher l’eau aux points d’eau collectifs.
A Cuba, les droits fondamentaux comme les soins de santé et l’éducation sont garantis et gratuits pour tout le monde. Par contre, les matériaux de constructions sont en pénurie, ce qui empêche la construction de maisons solides. Alors on construit avec les moyens du bord.10% des habitations sont répertoriées comme étant de bonne qualité, 20% de qualité moyenne et les 70% restants sont de mauvaise qualité. Certaines maisons sont en bois, d’autres sont faites avec des débris et la plupart n’ont pas vraiment de vrai sol.
Ces conditions d’habitation mènent à plusieurs formes de violence : des violences de genre, des violences intrafamiliales et communautaire. Les victimes sont principalement des personnes vulnérables : les femmes, les enfants, les personnes âgées ou ayant un handicap.
« Si tu agis avec ton cœur, tout ira bien. »
Proyecto Akokán n’a que quatre ans, mais il s’est vite transformé dans une organisation large qui s’attaque aux points sensibles du quartier.
Michael décrit l’évolution de cette façon : «Au départ nous souhaitions palier aux manques. Nous voulions construire des maisons, donner des vêtements et de l’argent à la communauté…Aujourd’hui nous voulons soutenir des petits indépendants, les laisser créer leurs propres emplois, leurs donner les moyens pour travailler. Nous organisons des cours de rattrapage pour les enfants, et les habitant.e.s du quartier partagent leurs talents dans des ateliers pratiques.». Si dans la langue Yoruba il y avait un mot pour « résilience », Akokán l’aurait sans doute pris pour devise !
Puis survint Covid-19….
A la mi-mars, quand le président Diaz-Canel annonçait les premières contaminations du coronavirus, les gens d’Akokán ont tout de suite pris les devants. Ils ne savaient que trop bien que les personnes en situation de vulnérabilité sont plus exposées aux différents risques d’infection.
Fin mars, le gouvernement cubain prenait la décision d’arrêter les transports en commun, de fermer les services publics non-urgents, de passer au télétravail et d’annuler tous les événements publics. Restaurants, services de taxis et écoles ont été immédiatement fermés pour une durée indéterminée. Ceci a mis des bâtons dans les roues du Proyecto Akokán. Sans moyen de transport, les bénévoles d’autres quartiers ne savaient plus venir aider et la cafétéria du projet ne fournissait plus de revenu. Ces circonstances impérieuses ont obligé le Proyecto Akokán à chercher de nouvelles ressources dans leur propre quartier.
« Nous devons semer »
Michael a réussi à rassembler les efforts de plusieurs habitant.e.s ; des travailleu.se.r.s d’une coopérative agricole, de deux restaurants, des artistes plasticiens, des coordinatrices et coordinateurs des comités de quartier et du délégué de la circonscription.
Quand nous nous sommes rencontré après la première phase du confinement, il a déclaré, « nous étions préparés au pire . Une des premières choses qui m’était venue en tête c’était tiene que sembrar – nous devons semer ». La sécurité alimentaire pouvait devenir le plus gros problème. Nous avons immédiatement interpellé la personne responsable du quartier pour pouvoir agrandir les potagers et nous avons préparé le local communautaire pour qu’il puisse, si nécessaire, être transformé en hôpital de campagne.
La première étape du plan Proyecto Akokán était de cartographier les risques de contamination. A cet effet, les travailleu.se.r.s de la santé, les responsables et les travailleu.se.er.s soci.ales.aux rassemblaient leurs informations sur une carte du quartier. Ces cartes montrent les endroits où beaucoup de gens se rassemblent, comme les marchés, les bornes wifi, et les habitations des aîné.e.s, des femmes avec des petits enfants, des personnes ayant un handicap, des personnes malades et des personnes ayant peu ou pas de revenu. Les habitations où il y a des cas de violence intrafamiliale ont également reçu un icône. De même que les habitations des bénévoles ainsi que lieux de production alimentaire locale comme le jardins des plantes médicinales.
Les bénévoles ont confectionné des masques et les ont distribué. Ils ont même confectionné des masques transparents pour les sourd.e.s et malentendant.e.s. Grâce aux médias sociaux, les collaborat.rice.eur.s du projet ont collectionné des bouteilles en plastic pour en faire des visières. Ils ont aussi partagés des données mobiles pour que les gens puissent rester en contact avec leurs proches et recevoir de l’information.
Les ateliers annulés ont été remplacés par le petit journal papier Akokán. Des petites missions ont été mises en place pour apprendre aux enfants comment faire face aux problèmes. Les enfants ont bricolé une petite carte à envoyer à un voisin, ont semé quelques graines dans une vieille boîte de conserve. Akokàn publie aussi des conseils pour le bien-être psychologique des ados, sur base d’expertise d’une psychologue du réseau. Une petite BD explique encore le Covid-19 et comment se protéger soi-même ainsi que les personnes de son entourage.
“Nous avons appris que parfois il vaut mieux aller vers les gens pour présenter nos proposer.”
Des bénévoles ont distribué ce petit journal et des masques ; ainsi ils ont eu un moment de contact essentiel avec les habitants et ont pu réfuter les fausses informations. Par exemple une religieuse de Santeriágenezer prétendait que des piqûres de fourmis guérissent le coronavirus.
Michael continue d’innover en me montrant le modèle d’un chariot-bibliothèque et d’un chariot-atelier mobiles. «Nous avons appris que parfois il vaut mieux aller vers les gens pour présenter nos proposer. Nous avons également appris que, dans notre recherche de ressources, nous devons regarder au-delà des aspects financiers. Je pense à une sorte de “banque de temps”, parce que le temps des bénévoles est tout aussi précieux ».
L’évolution positive de la collaboration entre le Proyecto Akokán et les administrations officielles démontre que des « initiatives civiles » locales et l’entreprenariat social reçoivent de plus en plus une place égale à côté des organisations de masse officielles dans le Cuba actuel. Et si leurs esprits créatifs sont un reflet de la détermination cubaine à trouver des solutions alors, ça promet un avenir radieux.
Ceci est une version écourtée du blog de Julie. Vous trouvez le texte intégral sur https://eeuwigezee.wordpress.com/2020/08/06/proyecto-akokan-sociaal-werk-in-een-bijzondere-buurt-van-havana/ (en néerlandais)
Campagne de Pâques 2021
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