Palestine : Une campagne de vaccination sous un régime d’apartheid
Israël a été loué dans le monde entier pour la rapidité de sa campagne de vaccination. Mais derrière cette belle histoire se cache une bien triste réalité. « L’inégalité structurelle dans l’accès aux vaccins entre citoyen·ne·s israélien·ne·s et palestinien·ne·s est hallucinante. La seule conclusion, c’est qu’en 2021 Israël pratique toujours un régime d’apartheid » a déclaré Firas Jaber, de notre organisation partenaire en Palestine Al Marsad, à l’occasion d’un rapport sur la campagne de vaccination palestinienne.
Deux campagnes de vaccination parallèles
Une étude d’Al Marsad a été consacrée aux campagnes de vaccination israélienne et palestinienne. Les chiffres sont éloquents : deux tiers de la population israélienne a reçu deux doses, « et encore plus frappant, plus de 30% ont déjà reçu une troisième dose, ce qu’on appelle un booster », raconte Firas. « Par contre, les chiffres de la vaccination palestinienne sont à désespérer. En Cisjordanie, seuls 23% sont totalement vaccinés. A Gaza, on arrive à peine à 7%. Nous en constatons les conséquences sur les taux de mortalité. A Gaza, une dizaine de personnes meurent chaque jour du coronavirus. C’est incontestablement dû au faible degré de vaccination».
Selon la Convention de Genève (1949), c’est Israël qui est responsable de l’achat et de la distribution des vaccins dans le territoire palestinien occupé. Les articles 55 et 56 parlent d’une responsabilité directe de l’occupant en ce qui concerne la santé publique, avec un accent spécifique sur « les épidémies et les maladies contagieuses ». Edelstein, ministre israélien de la santé, a clairement fait comprendre qu’il ne s’agit là en aucune façon d’un devoir ou d’une priorité du gouvernement israélien.
La campagne israélienne de vaccination est destinée aux seul·e·s citoyen·ne·s de nationalité israélienne. En conséquence, la campagne parallèle de vaccination pour la population palestinienne est un échec. « Les habitant·e·s des colonies illégales israéliennes en territoire occupé, qu’on appelle les settlers, ont pu bénéficier de la campagne israélienne. On a donc une situation où les habitant·e·s d’une même zone territoriale sont concerné·e·s par deux campagnes de vaccination parallèles. Quelqu’un qui habite à 1 km de chez vous reçoit le vaccin, peut retourner au travail, se sent en sécurité, alors que vous n’êtes pas vacciné·e et courez chaque jour des risques pour votre santé », constate Firas.
Covax versus Pfizer
La campagne de vaccination israélienne a débuté en décembre 2020. C’était le résultat de négociations bilatérales entre Israël et Pfizer. Israël a payé le prix fort pour être le premier sur la liste. « En Israël, toutes les personnes vaccinées ont reçu le vaccin Pfizer. Pour la population palestinienne, il y a davantage de vaccins différents : le Sputnik russe, Moderna, Pfizer, ainsi que le vaccin chinois », dit Firas. La campagne de vaccination palestinienne a été lancée quelques mois plus tard, en février 2021. La première dose en Palestine a été injectée alors que 40% de la population israélienne étaient déjà complètement couverts.
La campagne de vaccination palestinienne a par ailleurs pâti de retards de livraison. La campagne s’appuyait sur l’initiative COVAX de l’Organisation Mondiale de la Santé et sur les dons d’autres pays. « COVAX était supposé aider les pays les plus pauvres et avait pour but de rectifier l’inégalité dans la lutte pour l’obtention de vaccins. L’objectif était d’avoir 2 milliards de vaccins COVAX. Mais on a compris très vite que cet objectif n’était pas réaliste. Il n’était pas obligatoire de se coordonner avec COVAX et de nombreux pays ont choisi de mener des négociations bilatérales dans leur propre intérêt. Ce qui a bien sûr eu un impact sur la campagne de vaccination en Palestine », explique Firas. Les premières livraisons COVAX à la Palestine, prévues pour février 2021, ont dû être postposées de 3 mois. En outre, les Palestiniens et Palestiniennes ont reçu moins de doses que prévu.
Malgré la responsabilité légale du régime israélien quant à la fourniture de vaccins aux habitant·e·s du territoire occupé, les négociations bilatérales menées par l’Autorité palestinienne ont été rendues difficiles pour plusieurs raisons. L’accord avec Pfizer (mai 2021) prévoyant la livraison de 4 millions de doses n’a été que partiellement honoré. Les livraisons ont été postposées à plusieurs reprises et l’accord avec Pfizer a perdu tout crédit lorsque l’on a appris que le Ministère israélien de la Santé et son homologue palestinien avaient l’intention de conclure un accord d’échange des vaccins. Israël allait « offrir » aux Palestinien·ne·s des vaccins Pfizer excédentaires, deux semaines avant leur date de péremption, en échange de nouveaux vaccins faisant partie de l’accord palestinien avec Pfizer plus tard.
La condamnation à mort des Palestinien·ne·s
Outre les difficultés à obtenir des vaccins, la campagne de vaccination palestinienne a été sabotée de différentes manières et de façon systématique par Israël. « Beaucoup de Palestinien·ne·s à Jérusalem-Est ne parlent ni ne lisent pas l’hébreu. Or, les dépliants et sites web d’information sur le virus et la vaccination étaient rédigés en hébreu », explique Firas. « Le gouvernement israélien a refusé d’implanter des centres de vaccination dans certains quartiers palestiniens de Jérusalem, comme Kafr’Aqab. Il en a été de même pour la mise à disposition de matériel dans les hôpitaux de Jérusalem-Est et l’installation de centres de tests dans cette partie de la ville a été délibérément reportée. »
La situation à Gaza est tragique. Le taux de vaccination atteint péniblement 7%. Les hôpitaux doivent faire face à d’importantes pénuries. « Le matériel médical est bloqué à la douane israélienne. A Gaza, on manque de matériel et de moyens, une conséquence directe du blocus par Israël sur cette partie du territoire », raconte Firas. Des articles médicaux d’importance vitale n’arrivent pas à destination, ou alors avec un énorme retard. Le coût en vies humaines est important. Cet aspect délibéré du blocus, au cœur d’une pandémie globale, est particulièrement cynique. Les patient·e·s qui tentent de trouver en Égypte ou en Cisjordanie les soins de santé qui manquent à Gaza, n’ont que peu de chances de réussite.
« Les chiffres actuels de mortalité à Gaza sont importants et très inquiétants, en raison d’un taux extrêmement bas de vaccination et d’un manque de matériel médical. Ainsi, il y a une forte pénurie d’oxygène pour les patient·e·s Covid. Gaza est par ailleurs densément peuplée. L’électricité est souvent en panne et les chiffres de pauvreté et de chômage sont énormes », raconte Firas. « Et nous ne parlons même pas de la santé mentale pendant la pandémie. »
Des bombes au lieu de vaccins
Au cours de l’offensive israélienne contre Gaza en mai dernier, 6 hôpitaux ont été (partiellement) détruits, ainsi que le plus important laboratoire Covid. Des membres du personnel médical ont perdu la vie sous les bombardements. L’Organisation Mondiale de la Santé et nombre d’organisations humanitaires ont tiré la sonnette d’alarme et appelé à épargner le personnel médical.
En Cisjordanie également, le secteur médical a été durement touché. Les HWC, Health Work Committees, troisième pourvoyeur de soins de santé en Cisjordanie et partenaire de Viva Salud, ont été la cible d’une grosse offensive israélienne. La directrice, Shatha Odeh, a été arrêtée début juillet par l’armée israélienne, un mois à peine après que le bureau principal de l’organisation ait été mis sous scellés pour 6 mois. Amnesty International a dénoncé cette attaque contre « l’un des principaux pourvoyeurs de soins de la région » et a averti quant à des « conséquences catastrophiques » pour les Palestinien·ne·s en quête de soins médicaux en pleine pandémie.
A maintes reprises, l’ONU a appelé Israël à prendre ses responsabilités. Israël doit permettre la libre circulation des vaccins et ne peut retenir les livraisons à la frontière avec Gaza. La communauté internationale se dit préoccupée, mais Israël poursuit tout de même sa campagne de vaccination « avec succès ». Le pays n’a pas mis fin à ses négociations bilatérales avec les multinationales ni à ses alliances politiques et ne tient aucunement compte des nombreux avertissements, déclarations et préoccupations dont il est l’objet.
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