Monsieur le Ministre De Croo, faites du vaccin un bien public

Vaccines

Monsieur le Premier Ministre,

Faites du vaccin un bien public. C’est ce qu’exigent de vous, depuis quelques mois déjà, organisations de la santé, mutuelles, syndicats, ONG et les 30.000 signataires belges de l’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie. Mais malgré cela, votre gouvernement s’obstine à empêcher une solution structurelle à la crise du coronavirus.

On a pu le constater à nouveau le 6 juillet dernier, lors de la commission fédérale autour de la santé. La majorité Vivaldi a voté en faveur d’un texte consensuel réduit, qui n’aidera en rien à résoudre la pénurie mondiale de vaccins. Le texte ne dit rien sur une levée temporaire des brevets et n’oblige aucunement le secteur pharmaceutique à partager ses connaissances et sa technologie.

Or, l’urgence est plus grande que jamais. Une nouvelle vague mortelle de coronavirus est en train de se répandre à travers le monde. En Australie, des villes se confinent, en Indonésie, les hôpitaux installent des tentes pour parer aux urgences et le coronavirus est actif dans plus de 15 pays africains. La raison de cette vague ? Le redouté variant delta. Bien plus contagieux que le virus originel et très vraisemblablement plus mortel aussi.

Selon les estimations, le variant delta serait responsable pour fin août de 90% des cas de corona dans l’Union Européenne. On peut déjà en observer les premiers effets au Portugal, en Espagne et au Royaume Uni. Les pays à haut taux de vaccination ne sont pas épargnés. Cela fait des mois que le Dr. Tedros, directeur général de l’OMS, tire la sonnette d’alarme : « Personne n’est protégé tant que tous ne le sont pas. » Aussi longtemps que nous n’aurons pas la pandémie sous contrôle sur le plan mondial, le danger restera permanent, chez nous aussi.

Comment est-ce possible ? La campagne de vaccination mondiale est déficiente. Vous êtes certainement au courant des chiffres. Sur le plan mondial, 23% seulement de la population a reçu une première dose de vaccin. Dans les pays à bas revenu, ce chiffre descend à 0,9%. L’Afrique, qui abrite 17% de la population mondiale, n’a reçu que 1,5% du nombre total de vaccins.

Les conséquences en seront désastreuses, surtout dans des pays au système de santé fragile, mais chez nous également. Alors que la population aspire à la liberté et à la détente, le risque de nouveaux variants et de vagues de contamination est grand. Les restrictions de voyages, les confinements locaux et les perturbations du commerce mondial provoqueront une catastrophe économique qui coûtera près de 7600 milliards d’euros. En outre, selon une recherche américaine, le nombre de morts peut encore doubler si nous n’adaptons pas la stratégie mondiale de vaccination.

Comment est-il possible que le COVID-19 fasse davantage de victimes après qu’on ait mis au point des vaccins supposés protéger les gens ? Strive Masiyiwa, à la tête de la taskforce de vaccination en Afrique, parle d’un système intentionnel mondial d’injustice.

Tandis que des milliards de citoyen·ne·s sont en attente d’un vaccin, les grandes firmes pharmaceutiques réalisent des gains de milliards d’euros en créant la pénurie sur le marché. Ils maintiennent artificiellement l’offre vaccinale à un niveau trop bas et refusent de partager leurs connaissances et leurs technologies.

La résolution votée récemment ne changera rien à cette situation dramatique. Elle est rédigée en des termes vagues et contient surtout beaucoup de vœux pieux. Pas un mot sur le TRIPS-waiver et sur la levée temporaire des brevets. Au contraire, en concertation avec les firmes pharmaceutiques détentrices de brevets, vous voulez « renforcer la collaboration mutuelle et la cession volontaire des licences pour produire ensemble une quantité maximale de vaccins COVID-19. ». Pouvons-nous vous rappeler que les initiatives volontaires n’ont jamais produit rien de concret ? En mai 2020, l’OMS a lancé le système C-TAP, une plateforme volontaire pour partager connaissances et technologies. Une année après, la plateforme reste complètement vide.

Peut-être espérez-vous un changement de cap de la part de l’industrie pharmaceutique, mais entre-temps, nous perdons un temps précieux. Nous avons besoin d’une action forte, pas de gants de velours. Levez temporairement le droit de propriété intellectuelle, organisez un transfert de technologies et de connaissances, soutenez la mise en place de productions locales dans le monde entier et distribuez les vaccins d’une façon équitable.

Tout le monde est pour : la quasi-totalité des pays du monde, les scientifiques, des millions de citoyen·ne·s, le Dr. Tedros, les milieux associatifs, le pape. Tout le monde est pour. Vous, et d’autres opposant·e·s à cette demande portez donc une responsabilité énorme. Il est plus que temps que le gouvernement Vivaldi change son fusil d’épaule et rejoigne les rangs de celles et ceux qui appellent à faire du vaccin un bien public. Il sera ainsi disponible pour tou·te·s sur toute la planète et nous empêcherons que des milliards d’euros d’impôts alimentent les comptes du secteur pharmaceutique. Cette solution n’est pas seulement la plus efficace, elle est aussi la plus équitable.

Anne Delespaul, médecin auprès de Médecine pour le Peuple et initiatrice de l’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie.
Wim De Ceukelaire, directeur de l’ONG Viva Salud

Carte blanche parue en version originale néerlandaise dans Knack.

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