L’Occident isolé sur la question de la levée des brevets
Marc Botenga est député européen et président du conseil d’administration de Viva Salud. Il suit de près la question de l’accessibilité des vaccins corona. Nous l’avons interrogé sur les avancées politiques en matière de levée des brevets sur ces vaccins au niveau mondial.
Quelle est l’ampleur du soutien mondial en faveur d’un vaccin universel actuellement ?
« Rarement l’Occident en général et l’Union européenne en particulier auront été aussi isolés au niveau mondial. Déjà en mai 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a créé une plateforme (COVAX) visant à permettre un partage des technologies et des brevets. Son directeur-général soutient une suspension des brevets. À l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), une coalition de plus de 100 pays propose de lever les droits de propriété intellectuelle. Des pays importants comme l’Inde ou l’Afrique du Sud sont à l’avant-garde de cette demande. D’anciens présidents comme Lula du Brésil, mais aussi vingt-cinq Prix Nobel de la paix, se sont mobilisés en faveur d’une levée des brevets. Et au sein même de l’Europe, des sondages montrent qu’environ trois quart de la population est en faveur d’une action sur les brevets. »
En mai, même Joe Biden a donné un signal positif. Que signifie cette évolution pour l’accès mondial aux vaccins COVID-19 ?
« Biden a en effet déclaré que son gouvernement soutenait une action sur les brevets. Après un an de pandémie, cette déclaration de Joe Biden était un signal tardif, mais important. C’était le résultat de cette mobilisation populaire, qu’on voit aussi aux États-Unis. En même temps, Biden voulait aussi redorer le blason des États-Unis sur la scène internationale. Les États-Unis ont longtemps bloqué toute exportation, non seulement de vaccins, mais même de matières premières utilisées par d’autres pays pour fabriquer ces vaccins. Ils ont donc activement saboté le partage des vaccins. D’autres pays, comme la Chine, exportaient en revanche des vaccins vers différents pays. De cette manière, la Chine gagnait en prestige dans certains pays en voie de développement, tandis que les États-Unis en perdaient beaucoup. Biden a donc voulu rectifier un peu le tir. Mais jusqu’ici, nous n’avons que ses mots. Si nous voulons que Biden respecte sa promesse, il faudra encore augmenter la pression. »
Qu’en est-il dans l’Union européenne ? Vous voyez que les choses commencent à bouger?
« Le 16 avril 2020, il y a plus d’un an, parmi 137 député·e·s qui prenaient part au débat, j’étais le seul député à soulever le problème des monopoles pharmaceutiques lors d’un débat sur la crise Covid-19. Entre-temps, en mai et en juin, une majorité du Parlement européen s’est exprimée en faveur de cette levée des brevets. Cela n’est pas dû à mon discours, mais bien à la campagne qui a été menée, avec des ONG, des syndicats, des associations et des partis politiques.
Malheureusement, ce n’est pas parce que le Parlement européen a voté une résolution que la Commission européenne écoute. Et bien que certain·e·s commissaires affirment parfois être en faveur d’une levée des brevets, la Commission sabote toujours les négociations à l’Organisation mondiale du Commerce. Elle refuse même de reconnaître le vote du Parlement européen. Dans les coulisses, elle prétend qu’il n’y aurait pas de majorité, tandis que la résolution parlementaire a été approuvé avec une majorité de presque 100 voix. »
Quel message avez-vous pour la Big Pharma et les opposants à un Vaccin du Peuple ?
« Vous savez, Big Pharma a toujours comme premier objectif le profit. Ces multinationales investissent dans les médicaments dont elles pensent qu’ils vont rapporter le plus. Quand la Commission européenne a voulu investir davantage de fonds publics dans la recherche sur les pandémies en 2018, l’industrie pharmaceutique a balayé cette proposition d’un revers de la main parce qu’il n’y avait pas assez des bénéfices à se faire. Le développement des vaccins est coûteux et les marges bénéficiaires faibles. Un vaccin efficace vous protège longtemps. Une petite piqûre pour tout le monde et vous avez éradiqué une maladie. Au lieu d’investir dans des vaccins contre le SRAS, Big Pharma préfère les médicaments « stars », à prendre sur une longue période. Au début de ce siècle, environ un quart des ventes de Pfizer consistait en un seul produit : l’inhibiteur de cholestérol Lipitor. Ce qui compte c’est le profit et alors, pour le dire avec une boutade : le viagra peut être plus intéressant qu’un vaccin. »
Que pouvons-nous faire en tant que citoyen·ne·s pour changer la situation ?
« Que la Commission européenne refuse même de reconnaître un vote du Parlement européen montre qu’il n’y a que la mobilisation qui fait bouger les lignes. Il faut augmenter la pression, tant au niveau national, européen qu’international. Nous savons qu’à l’Organisation mondiale du Commerce, l’Union européenne est isolée. La pression est énorme.
Au niveau européen, l’Initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie joue un rôle important en articulant la mobilisation dans différents pays. Cette initiative veut récolter 1 million de signatures pour forcer la Commission à agir. Il y a des gens qui récoltent des signatures et qui se mobilisent de Chypre à l’Irlande en passant par l’Italie, la France et la Belgique. Cela crée une pression à la fois sur la Commission européenne et dans certains états. »
Photo: European Union 2021 (EP)
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