Le personnel soignant de Barangay, aux Philippines : d’une importance vitale pour peu de reconnaissance

Baranga

Depuis les années 70, il existe aux Philippines un programme gouvernemental pour les soins de première ligne, le programme Barangay Health Worker. Mais le rôle crucial que jouent les travailleur·euse·s de Barangay leur vaut une très faible reconnaissance.

À la fin des années 70, les Philippines ont été un des premiers pays à appliquer la recommandation de la Déclaration d’Alma Ata pour une médecine de première ligne. Le pays a lancé le programme Barangay Health Worker pour être au plus près de la population, dans les petits villages comme dans les quartiers urbains densément peuplés en leur proposant des soins de santé de base. Après plus de quatre décennies, le rôle important des travailleur·euse·s de Barangay est à peine reconnu.

Un rôle important

Cela fait un certain temps déjà que les soins de santé publics aux Philippines sont en crise. Le personnel soignant du programme Barangay joue dès lors un rôle important. Il offre des soins de santé de première ligne et aide la population à améliorer sa santé. Lors de la pandémie du corona, son rôle a été mis en avant. Le personnel soignant de Barangay a pris l’initiative de délivrer des soins à domicile pour les malades de la Covid-19 et a convaincu la population à se faire vacciner. Pendant le confinement, il a distribué des colis alimentaires et du matériel de protection. Malgré cela, son travail n’a pas attiré beaucoup d’attention. Seul le personnel soignant dans les hôpitaux a été mis en valeur.

Elma Deanon

Elma Deanon fait partie depuis le début des années 90 du personnel soignant de Barangay à Roxas City, dans la province de Capiz. Elle s’est toujours activement investie dans son barangay (quartier) et a donc été choisie pour travailler pour le programme Barangay. Les habitant·e·s la connaissaient et lui faisaient confiance et ont donc suivi attentivement ses conseils, également pendant la pandémie.

« J’étais en première ligne. Mon travail consistait notamment à contrôler les allées et venues au poste de contrôle du quartier pour contrer la propagation du virus. Une de mes tâches principales était d’expliquer aux gens la nature du virus et les règles d’hygiène. Certain·e·s des habitant·e·s croyaient que le vaccin les transformerait en zombies. Je leur expliquais alors l’importance et la sécurité de la vaccination.

Charge de travail

Les membres du personnel soignant de Barangay ont beaucoup de tâches et de responsabilités. Ainsi, iels assistent les sages-femmes et le personnel infirmier en charge de la santé des jeunes mères et de leurs enfants. Iels réfléchissent à la façon d’améliorer l’hygiène dans leur quartier, mènent des campagnes de vaccination et donnent des cours sur la santé dans les écoles.

« Connaître la situation de la santé de chaque famille est une de nos tâches. Nous nous rendons chez les gens pour les informer sur différentes maladies. Nous menons aussi des enquêtes pour savoir quelles familles ne disposent pas de toilettes ou doivent puiser leur eau dans des puits profonds et peu sains. Si quelqu’un tombe malade, nous accompagnons cette personne à l’hôpital ou dans un centre de santé. »

Mal payé·e·s

Malgré toutes leurs tâches et responsabilités, le personnel soignant de Barangay est considéré comme bénévole. Ils n’ont donc pas de salaire fixe et n’ont droit qu’à une indemnité d’Etat limitée. 

« Nous recevons 25,77 euros par trimestre de Barangay et 103 euros de l’administration provinciale. L’administration urbaine nous paie 34,3 euros par semestre. Si un membre du personnel de Barangay ne se présente pas à son poste, il reçoit une amende.« 

De nombreux·ses soignant·e·s de Barangay ont par ailleurs un job informel. Iels touchent souvent trop peu pour pouvoir faire vivre une famille. « Certain·e·s d’entre nous se font un supplément en lavant des vêtements ou en vendant des produits. Ainsi, je fais le tour du quartier pour vendre des produits cosmétiques. »

Inégalités entre différents barangays

Le personnel soignant de Barangay dans les villes est souvent mieux payé que ses collègues dans les campagnes, en raison de la décentralisation de la gestion des soins de santé. La gestion a été transférée des pouvoirs nationaux aux administrations locales. Celles-ci gèrent elles-mêmes leur budget. Si elles estiment que la santé n’est pas une priorité, le personnel soignant Barangay le ressent directement dans ses poches.

En outre, ce sont les politicien·ne·s locaux qui nomment les travailleur·euse·s de Barangay. Dans de nombreux endroits à travers le pays, le personnel soignant de Barangay n’est donc pas choisi sur base de ses qualités mais sur base de ses relations avec le capitaine du barangay ou le bourgmestre de la commune. Les membres du personnel de Barangay n’ont donc pas un emploi fixe. Si le capitaine du barangay démissionne, iels courent le risque d’être remplacé·e·s.

« Je ne comprends pas notre gouvernement. Prenons par exemple notre barangay. Avec le bourgmestre précédent, nous n’avions pas de problème d’approvisionnement en médicaments parce que le bourgmestre avait une bonne relation avec notre capitaine du barangay. A présent, la situation a complètement changé parce que notre capitaine barangay n’est pas un allié du bourgmestre actuel. Cela rend vraiment difficile notre travail en tant que soignant·e pour Barangay. Malgré le rôle indispensable que jouent les membres du personnel soignant Barangay, iels sont souvent exploité·e·s et discriminé·e·s.« 

« Des membres du personnel sont parti·e·s en raison de la charge de travail et du manque de considération. Certaines personnes préfèrent travailler comme personnel domestique ou cherchent du travail ailleurs. Celles qui restent doivent supporter la situation tout simplement parce qu’il n’y a pas d’alternatives. »

Plaidoyer pour des soins de première ligne forts

Ces organisations se montrent très critiques vis-à-vis du gouvernement parce qu’il associe de plus en plus le secteur privé au domaine des soins de santé. Ainsi, une loi de 2019 pour une réforme des soins de santé mise surtout sur les assurances santé. Trop peu d’attention est accordée à l’importance du secteur public dans l’administration des soins de santé. Entre-temps, Elma et d’autres membres du personnel soignant Barangay attendent toujours l’approbation d’une loi qui améliore leurs conditions de travail. Des organisations de santé continuent à mener des actions pour de meilleures conditions de travail pour le personnel Barangay et pour des soins de première ligne forts.