La pandémie n’est pas terminée. Changeons-le !
« Personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne le sera pas. » Le Dr Tedros, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous a souvent mis en garde. Tant que la pandémie de coronavirus ne sera pas sous contrôle dans le monde entier, le danger perdurera. Nous pouvons inverser la vapeur.
La campagne de vaccination en Belgique et en Europe va bon train. Les pays riches, qui ont acheté le stock limité de vaccins, vaccinent maintenant leur population en masse. Infirmières, enseignants, grands-parents, jeunes… Tout le monde y passe, chacun à son tour. Ailleurs dans le monde toutefois, les pays sont confrontés à une grave pénurie de vaccins. Cela signifie que de jeunes Belges en bonne santé se font vacciner plus rapidement que des personnes âgées fragiles et des membres du personnel soignant qui sont en première ligne ailleurs dans le monde.
Un aperçu des chiffres de la campagne mondiale de vaccination en dit plus que de longs discours. À la fin du mois de juin, seuls 23 % de la population mondiale avaient reçu une première dose. Dans les pays à faible revenu, ce taux tombe à un niveau stupéfiant de 0,9 %. Selon People’s Vaccine Alliance, une coalition qui souhaite faire du vaccin contre le coronavirus un bien public, au rythme actuel, il faudra 57 ans pour vacciner tout le monde. On ne peut pas se permettre d’attendre aussi longtemps.
Des variants mortels
Les experts en santé publique insistent depuis un certain temps déjà sur l’importance de l’immunité mondiale. Nous pouvons l’atteindre si au moins 70 % de la population mondiale est protégée contre le virus. Si nous restons en dessous de ce pourcentage, le risque de nouveaux épisodes épidémiques et d’apparition de variants plus contagieux reste élevé. Dans le cadre d’un sondage réalisé par People’s Vaccine Alliance, deux virologues interrogés sur trois préviennent que les vaccins actuels n’offriront plus de protection contre les nouvelles mutations du virus d’ici un an ou deux.
Le virologue Steven Van Gucht explique comment cela fonctionne : « Les variants de virus vont et viennent. Ce n’est pas inhabituel, c’est le cas aussi pour le virus de la grippe. Ils essaient constamment de se supplanter les uns les autres et, tous les X mois, un nouveau variant devient le variant dominant. Même le variant alpha britannique, dont le taux de contagion était déjà supérieur de 50 % par rapport au virus d’origine, a plié face au variant delta, originaire d’Inde. Le taux de contagion de celui-là est en moyenne 55 % plus élevé. »
Lorsque le variant delta est apparu pour la première fois en décembre 2020, dans l’État indien du Maharashtra, il ne semblait pas si particulier. Mais quand il s’est propagé quelques mois plus tard à New Delhi, il a eu un impact dévastateur. À la fin du mois d’avril, près de 30 000 infections étaient signalées chaque jour. Les hôpitaux ne savaient plus où donner de la tête et faisaient face à une grave pénurie d’oxygène.
Depuis lors, le variant delta est devenu le responsable d’une nouvelle vague de contaminations à travers le monde. Des villes australiennes sont confinées, l’Indonésie installe des tentes d’urgence à côté des hôpitaux et de nombreux foyers de ce virus se déclarent sur le continent africain. La proportion du nouveau variant augmente extrêmement vite dans notre pays aussi. À la fin du mois d’août, il pourrait être à l’origine de 90 % de tous les cas dans l’Union européenne. C’est un problème majeur, car le variant delta envoie les personnes non protégées deux fois plus vite à l’hôpital. Une tragédie potentielle pour les pays dont le système de santé publique est vulnérable.
Malhonnêteté intentionnelle
Comment est-il possible que le COVID-19 fasse davantage de victimes alors que nous avons développé des vaccins qui pourraient les protéger ? Strive Masiyiwa, qui dirige le groupe de travail africain sur la vaccination vous le donne en mille : « Nous n’avons pas accès aux vaccins, nous ne pouvons pas les acheter. On est face à une architecture mondiale de malhonnêteté délibérée. »
Alors que le virus se propage dans plus de 20 pays africains, seul 1 % de la population africaine a été vaccinée. À peine 1,5 % de tous les vaccins ont été envoyés sur le continent africain. La campagne de vaccination mondiale est donc un échec sur toute la ligne. L’industrie pharmaceutique et les dirigeants politiques des pays riches portent à cet égard une responsabilité accablante.
Pour commencer, la Commission européenne sabote la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud de lever temporairement les brevets sur les vaccins, les tests et les traitements. Une telle mesure permettrait pourtant d’augmenter la production de vaccins. La majorité des pays du monde, des lauréats de prix Nobel, des scientifiques, des syndicats, des mutuelles, des ONG et des millions de citoyens et citoyennes y sont favorables. Cependant, pour la Commission européenne, les profits de l’industrie pharmaceutique passent avant tout.
Les géants pharmaceutiques ont en outre reçu des milliards d’euros de subventions pour développer un vaccin. Par exemple, les autorités publiques ont payé 97 % des coûts de développement du vaccin Astra Zeneca. Malgré cela, l’industrie refuse de partager ses connaissances et la technologie avec d’autres usines. C-TAP, une initiative de l’OMS, à laquelle les entreprises peuvent participer sur base volontaire, et qui vise à augmenter la production de vaccins dans le monde, a été complètement ignorée.
Dans le même temps, les pays riches offrent de l’argent et des vaccins à COVAX, un mécanisme qui doit permettre de répartir les vaccins dans le monde entier. Mais parce que Moderna, Pfizer et Astra Zeneca gardent leurs connaissances secrètes, et parce que les pays riches ont acheté tous les vaccins disponibles, COVAX ne parvient pas à rencontrer son objectif, pourtant modeste : vacciner 20 % de la population des pays à faible revenu cette année.
L’urgence est plus grande que jamais
Heureusement, il y a aussi de bonnes nouvelles. Depuis plus d’un an, des citoyens et des mouvements sociaux luttent dans le monde entier pour l’accès universel au vaccin contre le coronavirus. Ils exigent que celui-ci soit placé sous contrôle public, et non sous l’emprise de l’industrie pharmaceutique. Leur lutte prend de l’ampleur. L’initiative citoyenne européenne Pas de Profit sur la Pandémie a déjà recueilli plus de 200 000 signatures. En Belgique, les partis de droite sont de plus en plus isolés. Pourtant, plus que jamais, il faut continuer à mettre la pression. L’urgence est bien là. Tant que nous ne prendrons pas le contrôle sur le virus dans le monde entier, les vagues d’infections continueront à se succéder.
Le Dr. Joshua, du Council for Health and Development, un partenaire de Viva Salud aux Philippines, l’exprime en ces termes : « Tant que le droit à la santé restera inaccessible pour la majorité des gens, et que des personnes continueront à mourir de maladies qui peuvent être évitées ou guéries, notre travail et notre lutte pour un système de santé véritablement public resteront essentiels. »
Jasper Thys
Article publié le 7 juillet 2021 sur Solidaire.
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