INTERVIEW : “Les soins de santé sont un travail humain ! La logique du profit n’a pas sa place ici”
Janneke Ronse est présidente de Médecine pour le peuple (MPLP). Avec 220 employé·e·s réparti·e·es dans 11 cabinets médicaux, l’association fournit des soins de santé gratuits à près de 25 000 patient·e·s. Dans cet entretien, Janneke évoque la lutte mondiale du personnel de santé pour de meilleures conditions de travail et pour des soins de santé publics de qualité.
Nous assistons à des manifestations du personnel de santé dans le monde entier. Que se passe-t-il ?
La situation dans le secteur de la santé était déjà très difficile avant la pandémie. Avec la crise de la Covid-19, le personnel de santé esperait que les conditions de travail s’améliorent enfin. Pour cause, les discours de ministres se succédaient pour louer et remercier leur courage et la population applaudissait à son balcon chaque soir. Pourtant il semblerait que, à mesure des mois, la crise du secteur de la santé ait disparue. Mais sur le terrain, les gens sont épuisés. La colère est très forte.
La semaine dernière, j’ai parlé à un infirmier britannique. Il s’implique étroitement dans les grèves qui parcourent le pays pour de meilleures conditions de travail et notamment, pour la préservation du NHS, le service de santé publique britannique. Au Royaume-Uni, il n’y a pas d’indexation automatique. En d’autres termes, le personnel de santé s’est appauvri de 10 % en raison de l’inflation. Il m’a expliqué que de plus en plus d’infirmièr·e·s en activité allaient à la banque alimentaire.
Bien sûr, chaque pays a son propre contexte. Mais les conditions de travail dans les soins de santé se détériorent globalement depuis des années. Le personnel soignant ne peut plus donner aux patient·e·s les soins qu’iels souhaiteraient donner. Tout cela tue la motivation des travailleuses et travailleurs de la santé. Il semblerait qu’iels doivent traiter les gens mécaniquement : comme des voitures sur une chaîne de montage, dans une usine. Récemment, une infirmière à domicile m’a dit qu’elle ne disposait que de 9 minutes pour faire la toilette à une personne. Elle m’a confié se sentir rapidement submergée et prise au dépourvue losqu’un·e patient·e nécéssitait de plus de temps pour avoir un peu de compagnie ou de réconfort.
Les contrôles sont de plus en plus nombreux, le travail administratif devient plus important que les soins, et le personnel doit travailler avec de plus en plus de flexibilité. Les horaires changent constamment et la charge de travail est énorme. Les économies réalisées dans le secteur de la santé constituent le principal problème. Le personnel est maintenant considéré comme un budget, alors qu’il prodigue des soins. Pour briser cette situation, il faut prendre des mesures à contre-courant de ce que l’on fait aujourd’hui. Mais les gouvernements se contentent de rafistoler, voire de prendre des mesures qui aggravent les problèmes. C’est pourquoi les syndicats et les mouvements sociaux du monde entier sortent aujourd’hui dans les rues.
L’efficacité, la gestion du temps et les tâches administratives semblent devenir de plus en plus importantes que les soins donnés aux patient·e·s. Comment MPLP parvient-il encore à faire passer les patient·e·s en premier ?
Prodiguer des soins de santé est par essence, un travail humain. La logique de profit n’y a pas sa place. Médecine pour le Peuple fonctionne selon un système forfaitaire. Nous ne sommes pas payés à la performance, mais disposons d’un budget fixe qui nous permet de couvrir tous nos frais. Ainsi, nous sommes moins guidés par les centimes et nous pouvons consacrer plus de temps à nos patient·e·s. Par exemple, nous travaillons avec des consultations de 20 minutes. C’est plus long que dans un cabinet de médecine générale moyen.
Il est très important pour nous d’accompagner nos patient·e·s. C’est ce que nous appelons “le médecin comme camarade”. Nous impliquons les personnes dans leur diagnostic, nous prenons plus de temps pour expliquer les déterminants sociaux de la maladie, nous décidons des directions à suivre ensemble. Surtout, nous partons des besoins des patient·e·s et organisons notre équipe en conséquence. Si nous voyons beaucoup de personnes souffrant de problèmes psychologiques dans un cabinet particulier, nous pouvons décider de recruter un psychologue supplémentaire. Ce modèle nous donne beaucoup de flexibilité. Il nous encourage également à travailler de manière plus préventive. Dans un système forfaitaire, il est intéressant d’éviter que les gens tombent malades et aient besoin de beaucoup de soins.
Un modèle de santé alternatif, dans lequel il n’y a pas de place pour le profit, est urgemment nécessaire. Les centres de santé communautaires sont-ils la solution ?
Les soins de santé sont évidemment plus vastes, mais les centres de santé communautaires restent un élément très important. Avec une première ligne de soin forte, on peut prévenir de nombreux autres problèmes. Par exemple, avec de bons soins infirmiers à domicile, un bon médecin de famille et une équipe de soignant·e·s plus informel·le·s, on peut éviter à un grand nombre de personnes d’aller à l’hôpital.
Notre pays est très doué pour soigner les gens, mais lorsqu’il s’agit de prévention, nos résultats sont vraiment médiocres. Nous n’investissons que 2 % du budget de la santé dans la prévention. Pour nous, ce chiffre devrait atteindre au minimum 5 %. En comparaison avec d’autres pays d’Europe occidentale, la Belgique est à la traîne en ce qui concerne les décès que l’on pourrait éviter. Pourtant, nous avons de bonnes campagnes de prévention. Mais ce n’est pas vraiment développé sur le terrain. Avec des centres de prévention dotés d’un personnel suffisant dans tout le pays, nous pourrions donner plus de poids à ces campagnes et transmettre efficacement les informations aux citoyen·ne·s.
Les conditions de travail sont-elles meilleures dans les centres de santé communautaires ? Comment le travail de soin est-il différent ?
Pourquoi choisit-on une profession liée aux soins ? Parce qu’on veut prendre soin des gens. Nous oublions parfois l’importance de la satisfaction professionnelle. Si l’on ne peut pas vraiment s’occuper des autres, on se heurte à un mur à long terme. Le taux d’épuisement professionnel dans le secteur des soins est deux fois plus élevé que dans les autres corps de métier. De nombreuses personnes quittent le secteur, mais je pense que nous pouvons les faire revenir en améliorant sérieusement leurs conditions de travail.
Chez MPLP, nous travaillons beaucoup en équipe. Nos collègues réfléchissent ensemble aux meilleurs soins à apporter aux patient·e·s dans leurs cabinets. Le travail en équipe nous permet de confier nos tâches administratives à d’autres collègues et de collaborer avec d’autres disciplines, telles qu’avec les infirmièr·e·s et les médecins.