Il est injuste que nous devions vivre sous contrainte parce que Big Pharma veut faire du profit
Médecine pour le Peuple lutte depuis des décennies pour des médicaments abordables et un système de santé accessible. Durant la pandémie, ils ont à nouveau montré leur force. Actuellement l’organisation mène une action pour mettre le vaccin contre le corona aux mains des pouvoirs publics. Nous avons interviewé Janneke Ronse, sa présidente.
Médecine pour le Peuple a mené beaucoup d’actions durant la pandémie. Quels ont été ou sont ses angles d’attaque?
“Médecine pour le Peuple (MPLP) se bat depuis 50 ans pour un système de soins de santé à prix abordables et accessible pour tout le monde. Au sein de nos 11 maisons médicales, la patientèle peut consulter un·e médecin sans argent. Dès le début de la pandémie, nous avons pleinement investi le terrain. Nous avons rapidement formé nos maisons médicales aux mesures spécifiques au coronavirus. Nous appelions notre patientèle pour voir s’ils avaient besoin d’aide. MPLP est également entré en action lorsque le gouvernement n’a pas été en mesure de fournir du matériel de protection. Nous avons pris sur nos budgets pour soutenir les autres organisations de première ligne qui ne disposaient pas de matériel de protection.
Au début, nous menions beaucoup d’actions de testing. Il y avait trop peu de tests alors que nous savions qu’il s’agissait d’un pilier crucial pour endiguer la pandémie. Nous avons monté des centres de test et les avons étendus aux maisons de repos car le gouvernement hésitait à tester la population à grande échelle. Nous avons également mis en place notre propre suivi de contact de proximité. Nous ne croyons pas au tracing centralisé par des callcenters commerciaux. Ils n’inspirent pas confiance, arrivent souvent trop tard et transmettent des informations erronées.
Au sein de nos maisons médicales, nous entendions souvent parler de l’insécurité qui existe sur le terrain. Certain·e·s patient·e·s positivement testé·e·s supposaient avoir été contaminé·e·s au travail. Nous avons pu corréler plusieurs cas positifs à une entreprise particulière. Raison pour laquelle, au sein de nos maisons médicales, nous nous concentrons sur la recherche de l’origine de la contamination. Nous pouvons donc affirmer que ni les autorités ni les employeurs n’ont pris leurs responsabilités vis-à-vis des gens. Actuellement nous agissons pour rendre le vaccin accessible à tous et toutes à travers le monde. C’est ce que nous faisons avec la campagne Pas de profit sur la pandémie.”
Pourquoi MPLP soutient-elle l’initiative citoyenne européenne Pas de profit sur la pandémie?
“Médecine pour le Peuple a pour mission de faire de la santé un droit pour tous et toutes. Nous tentons d’y arriver par différents moyens. Nous voulons faire des médicaments contre le coronavirus un bien public universel. Comme c’est le cas pour le vaccin contre la polio. Celui-ci est arrivé sur le marché sans brevet et n’a pas été détourné par l’industrie pharmaceutique. L’une de nos médecins, Anne Delespaul, est d’ailleurs l’une des initiatrices de l’initiative citoyenne européenne. Nous trouvons important de travailler au niveau européen afin de faire pression sur la Commission Européenne.
Big Pharma a développé des vaccins contre le coronavirus avec de l’argent public. Il n’y a cependant aucune transparence sur les conditions d’achat et sur les prix. Tout se passe en coulisse. Cela leur donne le contrôle total de la production, des prix et de la distribution des vaccins. En tant qu’organisation, nous soutenons la demande de supprimer les brevets sur les vaccins et les traitements contre le coronavirus. Ceci est nécessaire pour accélérer la production de vaccins et de médicaments et s’assurer que tout le monde y ait accès.”
Concrètement, comment MPLP contribue-t-elle à l’initiative citoyenne?
“D’abord, nous avons diffusé le matériel de la campagne à nos patient·e·s, volontaires, sympathisant·e·s et partenaires. Nous avons organisé des sessions d’information sur l’importance de placer le vaccin entre les mains du public.
Dans nos cabinets, nous collectons des signatures quotidiennement : à l’accueil, dans les salles d’attente, pendant les consultations et par téléphone. Nous tentons d’attirer la rue, par exemple vers les centres de vaccination en leur parlant de nos campagnes. C’est impressionnant de constater combien les réactions sont positives. Presque tout le monde signe. Il est tellement injuste que tout le monde doive vivre sous contrainte parce que les actionnaires des grosses entreprises pharmaceutiques veulent faire du profit.”
La lutte pour des médicaments accessibles fait partie de l’histoire de MPLP. Comment cela se fait-il?
“Nous œuvrons depuis des dizaines d’années en faveur d’une autre politique en matière de médicaments. Une politique basée sur les besoins de la population et non sur ceux de la course au profit des multinationales. Ainsi nous sommes allé·e·s avec 600 patient·e·s aux Pays-Bas pour acheter des médicaments au « prix kiwi ». Les gens étaient en colère de constater la différence de prix. Avec le PTB, nous avons entré une proposition de loi pour élargir l’application du modèle kiwi à la Belgique : grâce aux allocations publiques nous pourrions obtenir d’importantes baisses de prix. Tant les patient·e·s que la Sécurité Sociale auraient à y gagner. Récemment la Cour des Comptes a émis un avis positif à ce sujet.
Ensuite, nous avons mené une action contre l’augmentation du prix des antibiotiques et des antiacides. Ou du médicament Zolgensma pour bébé Pia. Malgré les milliards d’euros d’investissements publics, ce sont les firmes pharmaceutiques qui détiennent un droit sur le résultat final. Un grand nombre de nos patient·e·s s’en offusquent. Les Belges paient 20% de leurs dépenses de santé de leur propre poche. Une grande partie concerne les médicaments. En outre, la Sécurité Sociale est financée collectivement, ce qui représente encore beaucoup d’argent pour l’industrie pharmaceutique. Les gens sont prêts à payer cher pour leur santé et ils en font mauvais usage : c’est « la bourse ou la vie ». Nous devrions plutôt investir cet argent dans le personnel de santé ou le remboursement des soins psychologiques, par exemples.”
Médecine pour le Peuple attire les patients et le personnel de santé grâce à ses campagnes. En quoi la mobilisation de la population est-elle si importante?
“A l’initiative du PTB, MPLP désire s’attaquer aux racines des problèmes de santé. De nombreuses personnes tombent malades à cause du mauvais état de leur habitation, de conditions de travail précaires, d’insécurité d’emploi et/ou de difficultés financières. Ces problèmes ne peuvent être résolus au sein d’un cabinet médical. Ils trouvent leur origine dans notre société. Nous aspirons à une société dans laquelle la santé est un droit sans condition ni seuil d’accès. Mais nous n’y arriverons pas seuls. Nous avons besoin que la population se mobilise. C’est pourquoi, avec notre patientèle, nous cherchons des solutions et des moyens d’action. C’est ce que nous appelons l’empowerment : se battre avec les gens pour nos droits, parce qu’ensemble, nous sommes plus fort·e ·s.”
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