Était-il sage de miser tout notre argent sur les vaccins Corona ?
La communauté internationale a investi de manière disproportionnée dans la campagne de vaccination Covid-19 au détriment de stratégies alternatives et du renforcement des systèmes de santé publique. Jasper Thys, responsable politique et campagnes chez Viva Salud, plaide pour une approche qui donne la priorité à la justice sociale.
Nous sommes le 7 avril, Journée mondiale de la santé. Chaque année, des mouvements sociaux, des ONG, des syndicats et des militant·e·s de la santé font entendre leur voix en ce jour pour réclamer des politiques de santé plus équitables. Cette année, le 7 avril coïncide à peu près avec la fin de la pandémie de coronavirus. C’est du moins ce que les dirigeant·e·s d’un groupe limité de pays dans le monde voudraient nous faire croire. Car si un certain nombre de pays riches annoncent sans vergogne la fin de la pandémie, ils continuent dans le même temps à entraver l’accès mondial aux vaccins contre le Covid-19. Cela en dit long sur la façon dont notre monde fonctionne. Et cela soulève beaucoup de questions sur l’approche internationale de la pandémie. Était-ce une bonne idée de considérer les vaccins comme une solution miracle à cette crise ?
Mobilisation de masse
Au cours des premiers mois de 2020, une mobilisation sans précédent de ressources a eu lieu pour trouver une solution à la crise sanitaire. En un rien de temps, les gouvernements ont débloqué des milliards d’euros pour accélérer le développement, la production et la distribution mondiale des vaccins.
Moderna, par exemple, a reçu un total de 10 milliards de dollars des contribuables américain·e·s pour le développement de son vaccin1. Les dons à COVAX, le mécanisme visant à améliorer l’accès aux vaccins contre le coronavirus dans les pays à faible revenu, ont atteint 13 milliards de dollars en janvier 2022. Ces sommes ne représentent qu’une infime partie des nombreux milliards que les gouvernements ont versés pour acheter, soyons clairs là-dessus, des vaccins qui sauvent des vies.
La communauté internationale a investi une quantité disproportionnée d’argent dans la campagne de vaccination contre le Covid-19. Mais qu’est-ce que cela nous a apporté ?
Un investissement intelligent ?
Premièrement, nous avons toujours un déficit de vaccination au niveau mondial. Alors qu’en Europe, nous sommes invité·e·s à une quatrième injection, seuls 15 % de la population des pays à faible revenu ont reçu un premier vaccin contre le coronavirus. Le risque de voir apparaître de nouveaux variants du virus demeure donc et la pandémie n’est pas encore terminée. Chaque jour, quelque 5 000 personnes dans le monde perdent encore la vie à cause du Covid-19.
Deuxièmement, des millions d’euros sont passés de notre sécurité sociale aux actionnaires de l’industrie pharmaceutique. Selon une étude d’Oxfam, notre pays a payé 19,5 € pour une dose de vaccin Pfizer, alors que le coût de production ne dépasse pas 1,1 €. Les PDG de Pfizer, BioNTech et Moderna ont gagné ensemble 100 millions de dollars pendant la pandémie. Dans le même temps, les défis à relever dans le domaine des soins de santé et pour les travailleuses et travailleurs de la santé restent plus importants que jamais.
Troisièmement, l’attention portée aux autres maladies a été reléguée au second plan par l’importance accordée à la campagne de vaccination contre le Covid-19. Cette stratégie n’est évidemment pas sans risque. Dans de nombreux pays à faible revenu, notamment en Afrique subsaharienne, des maladies telles que le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA frappent la population plus durement que le Covid-19. Au lieu d’investir massivement dans une campagne de vaccination contre le Covid-19, l’argent serait mieux utilisé pour renforcer les soins de santé primaires. De cette façon, tous les problèmes de santé peuvent être abordés de manière intégrée.
Faire de la justice sociale une priorité
Le Dr Tedros, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, a déclaré précédemment : “Les vaccins seuls ne permettront à aucun pays de sortir de cette crise.” Il est donc grand temps de prendre ce conseil au sérieux en vue des futures crises sanitaires et de réfléchir à une approche multiforme de la pandémie. La justice sociale doit être une priorité. Après tout, plus l’égalité est grande dans une société, meilleure est la santé et le bien-être général de ses citoyen·ne·s2. Aussi, et surtout, pendant une pandémie.
Dans leurs politiques de relance post-Covid-19, les gouvernements doivent donc prendre de nombreuses mesures pour éliminer les inégalités. Cela peut être fait en premier lieu en se concentrant sur les besoins des groupes les plus vulnérables. Du travailleur de l’industrie de la transformation de la viande à la nouvelle arrivante dans un quartier urbain à forte densité de population. Le coronavirus et les mesures sanitaires ont touché plus durement les groupes les plus vulnérables. En impliquant davantage les mouvements sociaux et les organisations de la société civile dans la politique de santé, les besoins de ces groupes peuvent être mieux satisfaits.
En outre, la santé doit être prise en compte dans tous les domaines d’action. Comment garantir des conditions de travail saines ? Quel type de politique de mobilité permettra à davantage de personnes de se déplacer ? Et comment mettre des aliments plus sains dans les assiettes des gens ? Notre santé est déterminée à 85 % par l’environnement dans lequel nous vivons, la qualité et l’accessibilité des soins de santé et un certain nombre d’autres facteurs tels que nos revenus, notre niveau d’éducation et nos conditions de travail. En accordant une attention préventive à la santé dans différents domaines politiques, nous rendons la société plus égalitaire et plus résistante aux épidémies à venir.
Enfin, nous devons investir davantage de ressources dans la santé publique et travailler à la mise en place d’un système de soins de santé primaires solide. Cela permettra d’améliorer les conditions de travail du personnel de santé et de rendre les soins de santé plus accessibles, plus efficaces et de meilleure qualité pour tou·te·s.
Ce n’est que lorsque ces leçons seront appliquées dans le monde entier que les militant·e·s de la santé pourront célébrer la Journée mondiale de la santé avec enthousiasme et exubérance.
1 L’entreprise a maintenant entièrement converti ce montant en bénéfices.
2 Richard Wilkinson & Kate Pickett (2009). Le niveau de l’esprit : Pourquoi les sociétés plus égalitaires s’en sortent presque toujours mieux. Londres : Allen Lane.