6 mythes qui bloquent une solution à la pandémie
Aux côtés de mouvements sociaux, d’activistes de la santé, de syndicats, de mutualités et d’ONG, nous luttons depuis plus d’un an pour un Vaccin du Peuple, un vaccin qui soit entre les mains publiques. Nous faisons pression sur les politicien·ne·s pour une levée des brevets sur les vaccins contre le coronavirus, pour le partage des connaissances et des technologies, ce qui permettrait de rendre le vaccin disponible dans le monde entier. Mais grâce à ces six mythes, Big Pharma et les politicien·ne·s bloquent une solution à la pandémie.
“Les brevets ne sont pas un obstacle à la disponibilité mondiale des vaccins corona”
Les brevets forment comme un mur entre les nouveaux remèdes et les personnes qui en ont besoin, et ce de deux façons. Il en va de même pour les vaccins corona.
D’une part, les brevets permettent aux firmes pharmaceutiques de déterminer elles-mêmes le prix de leur produit. Cela rend certains médicaments extrêmement chers, voire impayables pour beaucoup de personnes. Il suffit de se souvenir du bébé Pia et de son injection vitale au prix de 1,9 million d’euros. Lors de la pandémie, certains pays à bas revenu ont payé les vaccins corona à un prix plus élevé qu’une région riche comme l’Union Européenne.
D’autre part, les brevets empêchent une production des vaccins corona à grande échelle. Ils limitent la production à quelques fournisseurs qui ne peuvent répondre entièrement à la demande urgente mondiale.
Cela profite aux firmes pharmaceutiques. Car en maintenant artificiellement basse l’offre mondiale des vaccins, elles peuvent compter sur une marge bénéficiaire élevée.
“Si on lève les brevets, Big Pharma ne développera pas de nouveaux vaccins lors d’une prochaine pandémie”
Les dirigeant·e·s des grandes firmes pharmaceutiques ne s’en cachent pas. Si on lève les brevets sur les vaccins corona, ils menacent de ne pas développer de nouveaux vaccins lors d’une prochaine pandémie. Les partis libéraux au gouvernement leur emboîtent volontiers le pas. Mais ils oublient un détail crucial : Big Pharma a reçu des milliards d’euros de subsides pour mettre au point un vaccin corona. Les autorités ont compensé le risque d’investissement en faisant des préachats et ont investi des parts importantes des revenus des impôts pour accélérer la mise au point des vaccins. Moderna a ainsi reçu 7 milliards d’euros du gouvernement américain et les autres firmes ont, elles aussi, profité de l’argent public. Le vaccin AstraZeneca a été payé à 97% avec l’argent des impôts.
Sans la recherche fondamentale au sein des universités publiques et sans les milliards donnés par les autorités, nous n’aurions pas eu un vaccin aussi rapidement. Ce sera pareil lors d’une prochaine pandémie.
“La levée des brevets va trop loin, les licences obligatoires suffisent”
Dès le mois d’octobre 2020, l’Afrique du Sud et l’Inde ont lancé un appel fort auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce : levez temporairement les brevets sur tous les remèdes qui peuvent nous aider dans la lutte contre le coronavirus. La logique est simple : en supprimant l’obstacle des brevets, on permet une production plus rapide et plus importante de vaccins et de matériel de test. La dérogation concernant les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), c’est le nom de cette proposition, a été entre-temps appuyée par plus de cent pays, par des scientifiques, des millions de citoyen·ne·s, le Dr Tedros (directeur général de l’OMS), des syndicats, des mutualités et des ONG.
Malgré cela, l’Union Européenne et le gouvernement belge continuent à s’y opposer résolument. Ils estiment que les licences obligatoires sont la solution au nombre insuffisant de vaccins. Une licence obligatoire permet au gouvernement d’obliger le fabricant d’un médicament breveté à laisser d’autres en fabriquer aussi. Le problème des licences obligatoires est qu’elles doivent être demandées, pays par pays et brevet par brevet. Mais les vaccins corona actuels sont concernés par des dizaines de brevets différents, pour chaque étape du processus de fabrication. Demander des licences obligatoires prend donc beaucoup trop de temps. C’est un processus juridique laborieux que nous ne pouvons pas nous permettre vu l’urgence.
“Des initiatives et des coopérations volontaires avec l’industrie pharmaceutique pourront répondre au manque de vaccins”
Le 23 septembre, la majorité Vivaldi a voté une faible résolution au Parlement fédéral qui ne permettra pas de remédier à la pénurie mondiale de vaccins contre le coronavirus. Le texte reste muet sur une levée temporaire des brevets et ne contraint en rien le secteur pharmaceutique à partager ses connaissances et sa technologie. Au contraire, le gouvernement fédéral mise sur la concertation avec le secteur pharmaceutique pour renforcer la coopération mutuelle entre les fabricants.
Jusqu’à présent, concertation et coopération volontaire n’ont jamais rien donné. En mai 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a lancé C-TAP, une plateforme de partage volontaire des connaissances et des technologies. Près de 18 mois plus tard, la plateforme reste vide. Le gouvernement espère peut-être un revirement de la part de l’industrie pharmaceutique, mais entre-temps nous perdons un temps précieux.
Nous avons besoin d’actions fortes, pas de gants de velours.
“La production mondiale de vaccins tourne à plein régime”
« Il n’y a nulle part dans le monde une fabrique de vaccins inutilisée qui puisse tout à coup se mettre à produire des vaccins par un coup de baguette magique ». Par ces mots lors d’une interview, Bill Gates a balayé du revers de la main la proposition de partager connaissances et technologie sur le plan mondial. Dirigeant·e·s politiques et de firmes pharmaceutiques estiment que la production mondiale des vaccins corona tourne à plein régime. La capacité de production serait juste trop basse pour répondre à l’énorme demande mondiale.
Pourtant, des firmes sont impatientes d’agir, dans des pays comme le Canada, le Bangladesh, l’Afrique du Sud et le Danemark, entre autres. GSK, Sanofi et Merck, les trois plus grands producteurs de vaccins au monde, ne produiront cette année des vaccins que pour à peine 1,5% de la population mondiale. Il y a donc de la marge pour élargir la production. En outre, on peut agrandir la capacité de production en faisant construire ou en formant de nouvelles usines. Il n’a fallu que 4,5 mois à Pfizer/BioNTech pour réussir.
Selon les Nations Unies et l’OMS, on peut vacciner cette année 60% de la population mondiale si toute la capacité de production est utilisée.
“La charité et les dons à COVAX nous aideront à sortir de la crise”
COVAX est le mécanisme de distribution des vaccins sur le plan mondial. Cela fait quelques mois que les dirigeant·e·s de pays riches disent que c’est la solution à la pandémie. Ils offrent de l’argent et des vaccins à COVAX dans l’espoir d’accélérer la campagne de vaccination mondiale.
Mais comme Moderna, Pfizer et AstraZeneca gardent jalousement leurs connaissances et que les pays riches ont acheté tous les vaccins disponibles, COVAX ne parvient pas à atteindre son objectif, pourtant modeste de vacciner cette année 20% de la population dans les pays à bas revenu. COVAX devrait pouvoir livrer 2 milliards de vaccins pour la fin de l’année 2021. Mais en juillet, il n’avait distribué que 83 millions de doses. Bien peu par rapport aux besoins. Ce mécanisme ne change donc rien à la pénurie mondiale de vaccins et ne touche pas au modèle de profit du secteur pharmaceutique. Cela ne peut donner que de mauvais résultats.
La charité ne nous aidera pas à nous en sortir. Nous avons besoin d’une approche centrée sur les droits humains et la solidarité internationale.
Apprenez-en davantage sur COVAX dans notre interview avec l’expert Prasanna Saligram du Mouvement Populaire pour la Santé et dans notre article Partagez le vaccin, pas le virus: des concepts compliqués expliqués simplement.